Biernaux

Père Xavier curé dans plusieurs paroisses de l’Archidiocèse de Bukavu est décédé à Goma le 22 juillet. Vincent Mukwege, ami au Père Biernaux a tenu à l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure.

Congoleo.net vous présente la lettre d’hommage de l’auteur du livre « L’œuvre pastorale du Père Xavier Biernaux. Un missionnaire d’Afrique au service de l’Archidiocèse de Bukavu. De 1963 à nos jours ».

« Car il n’est pas bon qu’un Prophète meure en dehors de la ville ! » (Luc 13,31-35).

Je viens d’arriver à Goma ce matin, en provenance de Bukavu. J’ai percé le lac Kivu pour venir jusqu’ici afin de rendre mes derniers hommages au Père Xavier Biernaux qui a été pour moi, et pour beaucoup d’autres, plus qu’un Père.

Cet homme de Dieu, né à Uccle le 24 août 1935  a célébré ses 58 ans de sacerdoce le 29 juin dernier et devrait célébrer ses 86 ans d’âge en aout prochain. Voilà que le Seigneur, le Maître de la Moisson, en a décidé autrement. Aussitôt ordonné prêtre, il est arrivé en RDC en décembre 1963 et a vécu toute sa vie missionnaire au Kivu, entre le Sud et le Nord-Kivu et aujourd’hui la Province du Nord-Kivu est plus qu’honorée de lui offrir un lieu où reposera à jamais son corps glorieux, comme celui de son Maître qu’il a tant servi.

J’ai fait connaissance du Père Xavier Biernaux vers les années 82-83 alors que j’étais en 6e année primaire. Aujourd’hui je frôle aussi la cinquantaine. A cette époque, il était curé de notre paroisse Saints Martyrs de l’Ouganda, à Ciherano. C’est là où ses fidèles et amis l’avaient surnommé « Muherano », c’est-à-dire un Mushi de Ciherano. Je me suis rapproché de lui et depuis lors notre amitié a continué jusqu’au dernier jour de sa course terrestre.

Il m’a orienté vers les Petits Séminaires de Cibimbi et Mugeri et plus tard vers le Grand Séminaire Mgr Busimba de Buhimba à Goma où s’est arrêtée ma vocation vers le sacerdoce. J’ai néanmoins poursuivi mes études à Kinshasa et à mon retour à Bukavu, en 2004, j’ai été très heureux de le retrouver dans cette paroisse Notre Dame d’Afrique à Goma où nous avons poursuivi nos échanges sur bien des questions pertinentes. C’est alors qu’il m’a interpellé, une fois de plus, me conseillant de me marier vite car, la vie du mariage, disait-il, n’est pas une vie d’indépendance. Si tu te maries très tard, tu risques de ne plus apprendre à vivre en famille, avec ton  épouse et tes enfants. Un an plus tard, en 2005, il a été très heureux d’apprendre que j’allais me marier. Il était prêt à venir bénir mon mariage mais il n’a pas eu le temps matériel pour voyager de Goma vers Bukavu.

Ne sachant toujours pas comment le remercier pour tous les bienfaits reçus de lui, en 2015 j’ai entrepris une recherche  sur sa vie missionnaire au Sud-Kivu, Nord-Kivu et au Rwanda et les résultats de ladite recherche ont été publiés en 2017 dans l’ouvrage « L’œuvre pastorale du Père Xavier Biernaux. Un missionnaire d’Afrique au service de l’Archidiocèse de Bukavu. De 1963 à nos jours ». A cette époque il était curé de la paroisse Sainte Trinité de Kadutu à Bukavu où, en ces moments, tous les fidèles et amis sont en deuil et se joignent à nos prières pour accompagner le Père Xavier Biernaux à sa dernière demeure.

J’ai été très ravi de voir le Père Xavier Biernaux et ses confrères Missionnaires d’Afrique accepter de porter aux fonds baptismaux cet ouvrage qui à jamais restera un souvenir précieux pour les amis et les proches du Père Xavier Biernaux. Mais que devons-nous retenir de sa vie missionnaire ? Il m’est difficile de dire ici, en quelques mots, ce que j’ai écrit sur 232 pages qui par ailleurs ne sont pas exhaustives.

Sinon, Père Xavier Biernaux a été pour moi et pour beaucoup d’entre nous, un Prêtre digne, dévoué, généreux, soucieux des problèmes des démunis, des faibles, des malades. Ce fut un homme de Dieu, nourri quotidiennement à la prière et à l’Eucharistie. Un homme intègre et intégré qui partageait aisément les repas avec ses fidèles et ses amis. Il mangeait sans dédain le fufu(pâte de manioc), le haricot, les patates douces, bref toute la nourriture localement disponible. Il aimait les enfants et se montrait fort préoccupé par leur éducation en construisant des écoles par-ci par-là. Bref, il s’est donné pour la cause des petits. Et le Seigneur l’en a récompensé, en lui accordant cette longévité car, le nombre de nos années, disent les Saintes Ecritures (Ps 89 :10), c’est à peine 70 ans, et 80 ans pour les plus vigoureux comme Père Xavier Biernaux. Le Seigneur Dieu, dans sa bonté, a jugé bon qu’il repose à jamais au milieu des siens qu’il a tant aimés et qui l’ont aimé. Il est désormais et demeure parmi nous, car disent encore les Saintes Ecritures « Car il n’est pas bon qu’un Prophète meure en dehors de la ville ».

En 2017, lors du vernissage de L’œuvre pastorale du Père Xavier, le Maître des cérémonies, Gervais Cirhalwirwa, avait émis le vœu de voir Père Xavier Biernaux, une fois décédé, reposer parmi nous au Kivu, plutôt que d’être inhumé loin des siens avec qui il a vécu et partagé de 1963 à nos jours. Je crois que le vœu de Gervais Cirhalwirwa est désormais exaucé.

En sa qualité de prêtre, et prêtre missionnaire, Xavier Biernaux est resté fidèle à son Maître. Il a amplement vécu ses vœux et il a servi de modèle à bien des vocations tant dans la vie religieuse que dans la vie conjugale. « Je suis devenu prêtre et voilà que je suis toujours heureux d’être Père Blanc, Missionnaire d’Afrique au Congo » m’avait-il confié le 15 août 2015. Aussi a-t-il ajouté : « Si je suis entré chez les Missionnaires d’Afrique, ce n’est pas pour devenir enseignant, professeur, infirmier ou faire un travail quelconque, mais ce que je cherchais c’est là où je suis, c’est-à-dire chercher le Seigneur dans ma vie et faire ce qu’il me demande. Je crois que c’est notre vocation à tous ».

Le Patriarche nous a finalement quittés. Il va désormais nous manquer. Nous l’avons tant aimé mais le Seigneur l’a plus aimé que nous autres. Il sait pourquoi il l’a arraché à notre affection. C’est pour qu’il lui donne un repos mérité, après un travail de qualité abattu pendant plusieurs décennies.

Depuis mon retour à Bukavu, en août 2020, je ne supportais pas de passer un trimestre sans me rendre à Goma pour rendre visite au Père Xavier Biernaux. Un coup de téléphone suffisait pour qu’on se fixe rendez-vous et qu’on se convienne de l’endroit où nous allions échanger et manger modestement nos frites et du porc. Un seul plat nous suffisait à deux. Il m’offrait aussi une bière Simba pendant qu’il sirotait sa petite du quartier (la petite Primus). Avec lui, il n’était pas question d’envisager de boire  une deuxième bière. Père Xavier était très sobre et discipliné.

Très récemment, je suis revenu à Goma lui rendre visite. Au téléphone, je lui ai annoncé que je lui apportais son mashanza (lait du Bushi) préféré et son café d’Idjwi. Il a fort apprécié. C’était le dimanche 27 juin 2021. Il m’a fixé rendez-vous à l’Hôtel Bakanja où nous avons suffisamment échangé et mangé, en compagnie de ses deux autres amis, jeunes. C’était un ami des jeunes. Je me souviens qu’il avait mangé ses frites préférées et bu une petite bouteille de Mitzig, la plus petite des bouteilles de bière que j’aie vues de ma vie. Une fois le repas consommé à l’hôtel Bakanja, le Père Xavier Biernaux m’a fixé  un rendez-vous pour le lendemain, le lundi 28 juin 2021 à 9h00. Ce jour-là, nous avons échangé pendant plus d’une heure sur bien de questions préoccupantes, notamment le développement de la RDC et des provinces du Nord et du Sud-Kivu qui lui tenait à cœur. J’ai alors trouvé le Père Xavier Biernaux quelque peu inquiet du fait que, selon lui, de ses camarades avec lesquels il a été ordonné, il n’en reste plus de deux ou trois, y compris lui-même, alors qu’ils étaient plus d’une dizaine.

C’est maintenant que je comprends qu’il pressentait qu’il était déjà en route vers le Père. Il ce lundi 28 juin 2021, il m’a posé cette question : « Vincent, depuis que tu travailles, qu’as-tu déjà mis de côté pour ainsi espérer que, si tu venais de mourir d’infarctus, par exemple, que ton épouse Roseline puisse continuer à bien élever vos enfants ? » J’ai trouvé la question directe et très dure ! Néanmoins je lui ai répondu que je ne suis pas nanti comme il pourrait le croire et que le peu que j’aie, mon épouse et mes enfants le connaissent bien, surtout en termes de champs. Je ne savais pas le pourquoi de sa question. C’est peut-être aujourd’hui que je commence en comprendre le bien-fondé. Il pressentait qu’il était en train de nous quitter.

Une autre préoccupation qui lui tenait à cœur : le manque de solidarité et d’esprit collaboratif des citoyens congolais. Aussi s’interrogea-t-il : « Combien de Congolais arrivent-ils à se mettre ensemble pour mener une affaire ou un business ? Car, dès que leur entreprise commence à prospérer, eux aussi commencent à se disputer et leur business tombe en ruine ».

Avant de nous quitter cet avant-midi de lundi, j’ai téléphoné à Mr  Michel Buroko, lui signifiant que j’étais avec le Père Xavier Biernaux. Celui-ci m’a dit qu’il avait toujours désiré lui parler. Je lui ai passé mon téléphone et séance tenante, ils se sont fixé rendez-vous. Mr Michel Buroko n’a pas eu le temps d’aller lui rendre visite. Il s’en est allé avant qu’ils ne se rencontrent.

Voilà, en bref, ce que je garde à l’esprit, comme souvenirs frais, de la mémoire du Père Xavier Biernaux. Pour ceux et celles qui veulent savoir davantage sur la sa vie missionnaire et ses œuvres pastorales, j’ai fait allusion à l’ouvrage publié à ce sujet, de son vivant. Comme le contexte actuel ne nous permet pas d’exposer cet ouvrage, je déposerai quelques exemplaires au bureau de la Radio Maria pour plus d’accessibilité.

Sur ce, je vous remercie de tout cœur pour avoir accepté de venir vous présenter vos derniers hommages au Père Xavier Biernaux, notre Père et Grand Père  à tous. Encore une fois, je présente mes condoléances les plus fraternelles à la Congrégation des Missionnaires d’Afrique, au Diocèse de Goma et  à la famille biologique du Père Xavier Biernaux. Je pense  notamment à son grand-frère Philippe qui, il y a quelques années, a aussi célébré ses 60 ans de mariage. Je n’oublie pas les parents biologiques du Père Xavier Biernaux : Papa Philippe et maman Jacqueline qui ont précédé Père Xavier Biernaux au Paradis. A toute la grande famille de Biernaux, que Dieu vous bénisse et vous soutienne pendant ces moments douloureux.

Père Xavier Biernaux, Repose en paix !

Fait à Goma, Paroisse Notre Dame d’Afrique,  le 27 juillet 2021

Vincent Mukwege Buhendwa

Ami du Père Xavier Biernaux.

Marcel Asifiwe K.

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