Le 22 juillet au matin, la nouvelle du décès du Père Xavier Biernaux se repend dans les paroisses du diocèse de Bukavu où ce prêtre missionnaire d’Afrique a passé presque toute sa vie.
Il est décédé à l’âge de 86 ans alors qu’il venait de célébrer ses 58 ans de mission le 29 juin à la paroisse de Katoyi (Goma) où il officiait. Mais qui est Pierre Biernaux, que retenir de sa vie missionnaire en RDC ?
Les réponses se trouvent dans cette longue interview que vous propose congoleo.net tiré du livre de Vincent Mukwege : « L’œuvre pastorale du Père Xavier Biernaux. Un missionnaire d’Afrique au service de l’Archidiocèse de Bukavu. De 1963 à nos jours », de la page 21 à la page 33.
« Je ne voudrais pas dresser un bilan : je reste un vase d’argile », Père Xavier Biernaux.
Curé de la paroisse Sainte Trinité de Buholo(Kadutu), Archidiocèse de Bukavu, République Démocratique du Congo
Buholo-Kadutu, 15 août 2015
Je m’appelle Père Xavier Biernaux (XB), Missionnaire d’Afrique. Je suis né en 1935, à Uccle, dans un faubourg de Bruxelles, en Belgique.
Ma première arrivée au Congo date de décembre 1963. Je suis passé dans plusieurs paroisses du diocèse.
Depuis 42 ans, je vis et travaille dans le diocèse de Bukavu. J’ai réalisé un total de 14 ans, en deux fois, à la paroisse de Ciherano.
J’ai vécu 10 ans à Burhiba. Il y a d’autres paroisses où j’ai travaillé, notamment Nyangezi, Murhesa, Cahi, Mubumbano. Ce sont là les principales paroisses où j’avais été nommé. Ma dernière paroisse est Burhiba où je suis resté 10 ans durant. Après Burhiba, mes supérieurs m’ont envoyé à Goma, où je suis resté pendant 9 ans, à la Paroisse Notre Dame d’Afrique, à Katoyi. Delà, il m’avait été demandé de rentrer à Bukavu, non plus dans une paroisse du Bushi mais plutôt de la ville. Voilà pourquoi je suis ici à la paroisse de Buholo, depuis un peu plus d’un an.
Cette nouvelle paroisse est un ancien secteur de la paroisse de Kadutu. Elle a été inaugurée en 2014, le jour de la Pentecôte. Me voici donc, content de me retrouver au milieu d’une communauté qui ne m’est pas inconnue. En effet, toutes les fois que je sors du presbytère, sur les cinq ou dix mètres, je rencontre des gens que je connais, des anciens de Ciherano et beaucoup d’autres. Nous avons énormément de familles de Ciherano qui ont trouvé refuge à Buholo, à la suite de l’insécurité qui sévit dans les villages du Bushi et du pays tout entier.
A la paroisse, nous formons une communauté de trois personnes et notre maison d’habitation, récemment réhabilitée, est située à 700 mètres de l’église. Certes, elle suffit pour nous, mais elle est très étroite pour être vraiment appelée « presbytère ».
Nous avons une très grande église qui était construite avec l’aide du Père Giovanni Querzani. C’est une église très pratique, au regard de ses dimensions, avec 1500 places assises.
Tous les jours, à la messe de 6h du matin, cette église est pleine à craquer ; il y a tant d’activités paroissiales.
Nous avons 10 shirika ou communautés de base, qui ne sont pas éloignées les unes des autres. La paroisse est déjà structurée, dotée des chrétiens responsables, des chrétiens laïcs qui assurent certains ministères, notamment les ministères auprès des malades, des enfants inscrits au catéchisme.
Le service de la Caritas est bien implanté pour apporter de l’aide aux démunis. La Commission Justice et Paix existe également pour prendre en charge les cas litigieux à régler dans les familles.
Vincent Mukwege : Cette année vous célébrez vos 80 ans de naissance. Qu’est-ce que cela vous rappelle, en tant que prêtre de Dieu au service des hommes et des femmes dans l’Eglise et la société congolaises ?
Xavier Biernaux : Je dois dire que depuis que je suis au Congo, je n’ai jamais été affecté pour un service en Europe. En dépit de cela, j’étais toujours heureux dans toutes les paroisses où j’étais nommé. Je trouvais un accueil très chaleureux de la part des chrétiens et je crois que c’est cette force d’amour que le Seigneur a mise en nous qui accomplissait ces merveilles.
En venant ici à Buholo, je pensais qu’à mon âge, c’était peut-être une utopie d’accepter une nouvelle fondation paroissiale. Néanmoins, il y a un prophète qui dit ‘Ma grâce te suffit ; va où je t’envoie !’. C’est ce que le Seigneur m’a dit. Je me rends compte de ma faiblesse, de ma pauvreté, on reste toujours des vases d’argile, mais je crois que c’est le Saint Esprit et l’amour du Seigneur qui me poussent à rayonner ma foi. C’est cet amour que Jésus témoigne à chaque personne en particulier. Je crois que je ne le dois pas à ma propre force. Mon charisme, c’est d’être très proche de tout ce monde qui m’entoure. Je n’aime pas me cloisonner dans mon bureau, j’aime beaucoup circuler dans les shirika, visiter les gens chez eux, et partout où je passe il y a toujours une poignée d’enfants qui m’accompagnent, poussant de petits cris.
Il n’y a pas d’attroupement mais de petits cris d’accueil. Chaque fois que je rencontre quelqu’un, je lui crie « hô hô ! » ; et bien mon interlocuteur me répond aussi par ce même cri ! Et partout où je passe dans les villages, dans les shirika, ce sont les mêmes « hô hô ! » que j’entends de la part des enfants et même des gens plus âgés.
VM : Voudriez-vous nous parler aussi de vos parents biologiques, desquels vous avez certainement de bons souvenirs ?
XB : Nous étions une famille de cinq (5) enfants, quatre garçons et une fille. C’était une famille très unie. Mes parents sont venus au Kivu par deux fois. La première fois lorsque j’étais à Ciherano, en 1966 et ils sont revenus en 1976 pendant que j’assurais un intérim à la paroisse de Cimpunda. Mes trois frères sont également venus au Congo pour me rendre visite, à une certaine période de mon séjour à Goma. J’étais à la paroisse de Katoyi. Ils ne venaient pas en touristes mais tenaient plutôt à voir simplement ce que je faisais, à parcourir ces communautés par où je suis passé.
VM : Pouvez-vous nous parler de leurs noms ?
XB : Mon frère ainé s’appelle Philippe ; il est architecte. Le second, c’était une fille. Elle s’en est allée auprès du Seigneur il y a déjà quelques années. J’ai deux frères cadets : l’un est ingénieur et l’autre, électricien. Et ils étaient toujours très heureux lorsqu’ils venaient me visiter ici au Congo. Ils avaient fort apprécié l’accueil dont ils ont été l’objet de la part de nos chrétiens.
VM : Et les noms des parents ?
XB : Papa s’appelait Philippe et maman Jacqueline. Je pense que leur vie peut avoir un impact sur ce témoignage que je donne. Mes parents étaient foncièrement chrétiens. Il y a eu une sorte de déclic pour ma vocation. Pendant que j’étais Louveteau, au Collège Cardinal Mercier à Braine-l’Alleud, un des collégiens avait été ordonné Missionnaire d’Afrique.
La maman de ce jeune Missionnaire nous avait tous invités, en tant que Louveteaux, à participer à la fête de la première messe, dite « messe des prémices » de son fils. Cela m’avait frappé et de là, je me suis dit « Mais pourquoi pas moi ? ». Et tout doucement, l’idée a fait son chemin.Plus tard j’ai été orienté vers les Missionnaires d’Afrique.
Je suis devenu prêtre et voilà que je suis toujours heureux d’être père Blanc, Missionnaire d’Afrique au Congo.
VM : L’Afrique aura été pour vous une terre de mission. Quand avez-vous réellement ressenti que ce continent, en général et le Congo en particulier, étaient devenus pour vous une terre de prédilection ? Est-ce à votre arrivée, au milieu de votre vie pastorale ou à la fin ?
XB : Depuis le début, lorsque je suis arrivé en Afrique, au début de ma première nomination à Ciherano. Au Kivu, je me suis toujours senti un peu chez moi, grâce à l’accueil des chrétiens, l’amitié et cet amour qui nous unit à tout ce peuple qui a soif, sans doute, de découvrir l’amour que Jésus a pour chacun de nous.
VM : Cet accueil était-il lié à la vie communautaire avec vos confrères ?
XB : Bien entendu ! C’est une force. J’ai toujours été dans des communautés où l’on s’aimait ; des communautés de Missionnaires d’Afrique où l’on s’approuvait, on s’acceptait. Et dans ces communautés, on était un peu dans le moule du Cardinal Lavigerie qui avait fondé la congrégation. Nous étions habitués à prier ensemble, à manger ensemble et aussi à nous distraire ensemble. C’était toujours la grâce que nous pouvions recevoir de ce temps gratuit passé en communauté.
VM : Vous souvenez-vous de quelques noms de vos confrères qui vous sont restés à l’esprit ?
XB : Le premier confrère que j’ai connu, c’est le Père Alphonse Bosmans, à Ciherano. Il est décédé il y a déjà quelques années. Un autre dont je me souviens, c’est le Père René Van Gansbeke. A Goma j’ai vécu avec le Père Michel d’Huart qui est aussi décédé. J’ai vécu avec d’autres plus jeunes, et pour le moment, je suis peut-être l’un des aînés, certainement l’ainé des Missionnaires d’Afrique à Bukavu.
VM : Il y a certainement des noms de certains fidèles laïcs de différentes paroisses qui sont restés gravés dans votre mémoire.
XB : Je dois dire que là, dans toutes les paroisses où je suis passé, je garde des amis qui restent en contact avec moi. Je crois- et je l’ai dit à plusieurs reprises-que les contacts avec les familles me fortifient dans ma vocation de Missionnaire d’Afrique, de prêtre dévoué et prêt à servir, à annoncer la parole de Dieu, à réconforter nos chrétiens par la réception des sacrements.
VM : Là où vous êtes passé, il y avait beaucoup de projets d’adduction d’eau, de construction d’écoles qui vous tenaient à cœur…
XB : Partout où je suis passé, j’avais un peu de charisme. Peut-on vraiment appeler cela « charisme » ? Je ne sais pas ! Mais toujours est-il que j’étais animé par le développement. A Ciherano, avec un laïc, Victor Kazungu, on a certainement aménagé une centaine de sources d’eau. Ce garçon continue à veiller sur l’entretien de ces sources. A Burhiba où j’ai passé une dizaine d’années, nous avons aménagé une adduction d’eau. C’est ainsi que l’eau est distribuée dans tous les quartiers autour de la paroisse. C’est de l’eau potable. Il y a une source fontaine dans chaque quartier et les habitants peuvent s’en approvisionner gratuitement.
Quant aux écoles, partout où je suis passé, j’ai essayé d’en construire quelques-unes. Je me suis toujours occupé des écoles ; j’en ai construit à Burhiba, à Goma, et à Buholo ; on essaie d’améliorer l’infrastructure des écoles qui manquent de soutien.
Il y a toujours des écoles en planches et nous essayons d’entreprendre des projets pour la construction de nouvelles écoles primaires et d’une école secondaire qui, depuis 12 ans, fonctionne l’après-midi. En fait, elle est installée dans une école primaire qui fonctionne l’avant-midi. Cette école secondaire est mal installée et a cruellement besoin d’appui pour son renouvellement complet.
Nous avons présenté un projet pour la construction de 20 salles de classe mais cela dépasse un tout petit peu les moyens des organismes auxquels nous nous sommes adressés. Il s’agit de l’Institut Mulindwa d’ici à Buholo.
VM : Que pensez-vous de tous ces gamins qui, souvent, courent après vous et ne vont pas à l’école ?
XB : Eh bien, c’est un grand problème parce que nous voyons qu’il y a beaucoup d’enfants! Quelle est la proportion de ces enfants qui étudient ? Je ne pourrais pas le dire. Mais il y a deux écoles ici à Buholo, dont une primaire pour les garçons qui a près de 900 enfants ; une primaire pour les filles, juste à proximité de cette dernière et qui dépasse les 1200 écolières. Nous avons également l’Institut Secondaire Mulindwa qui a, à son actif, près 750 élèves qui y suivent des enseignements. Au sein de cette école, trois options fonctionnent bien, et parmi elles, il y a l’Informatique de gestion et la Pédagogie.
VM : Beaucoup d’enfants n’ont pas accès à l’éducation, pas d’infrastructures, et avec tous ces problèmes, on peut se demander si réellement le développement est au cœur des préoccupations de la classe dirigeante congolaise…N’est-ce pas là une inquiétude ?
XB : ça, c’est autre chose ! On peut dire que l’Etat congolais ne considère pas l’enseignement comme une priorité. Certes, une poignée d’enseignants mécanisés reçoivent déjà de maigres salaires, mais les parents d’élèves doivent les compléter avec la prime.
Chaque enfant est tenu de donner, je crois, entre 4200 FC et 5600 FC, équivalant à 3 et 4 $ US par mois pour compléter le salaire des enseignants. J’éprouve d’énormes difficultés quant à la gestion de cette question parce que la majorité des enfants qui sont dans nos écoles proviennent des familles pauvres et nécessiteuses. Vous comprenez qu’à Buholo, les familles sont, pour la plupart, constituées des réfugiés qui ont fui l’insécurité des villages.
En outre, il y a énormément de chômeurs parmi les parents, qui passent leurs journées au marché, espérant revenir le soir avec quelque chose pour offrir un repas à leurs enfants.
VM : Pourquoi, face à toutes ces préoccupations, les leaders chrétiens n’émergent pas pour servir de levain dans la pâte?
XB : Nous sommes entourés des laïcs très engagés. Ce qui leur manque, c’est plutôt la possibilité. C’est chaque jour que des gens se présentent à mon bureau pour demander : « Padri, est-ce que tu ne peux pas me procurer un peu de travail ?Est-ce que tu ne peux pas me donner une recommandation pour que j’aie du travail dans telle ou telle société ? ». Ils manquent d’emploi. Et ce manque d’emploi, surtout pour les jeunes, est la source d’une certaine débauche. Beaucoup de jeunes passent leur temps dans les buvettes. Je ne pense pas que la drogue soit très répandue mais il faut dire qu’il y a beaucoup de jeunes gens qui sont aigris, devant le manque de possibilité que leur présente la société.
VM : Plusieurs personnes qui vous connaissent vous ont surnommé « Muherano », c’est-à-dire un habitant de « Ciherano ». Pouvez-vous dire quelque chose aux Bashi et en Mashi ; une salutation à ceux et celles qui sont dans le Bushi profond ?
XB : Asinge ? Myanzi mici ? Bici walire ?Bici wayishi jira omu kalamo kawe ?Ogwerhe myaka inga ?Etc.
Ce sont là des questions qu’on pose souvent. Mais il faut dire que, si j’ai parlé Mashi pendant de nombreuses années alors que j’étais à l’intérieur du pays, maintenant il y a plus de 20 ans que, dans toutes les paroisses où je suis, on parle Swahili et j’ai beaucoup perdu de ces connaissances du Mashi.
Je peux parler Mashi avec les vieux et les vieilles personnes mais pour l’homélie du dimanche, je dois faire un sérieux effort quand je célèbre la messe en Mashi.
VM : En dépit de cela, le bilan de votre ministère est positif…
XB : Moi je ne vais pas dresser un bilan. Ce n’est pas mon intention. Je suis là ; j’aime ceux qui m’entourent, ceux avec qui je travaille et j’essaie de bien collaborer avec eux. Mais quant au bilan, c’est le Seigneur qui le fait. Je reste un vase d’argile ; et mes moyens sont tout de même limités. Si on disposait des moyens, on ferait certainement plus. Toutefois, je ne pense pas que le développement soit dans des constructions imposantes ou de grands travaux. Nous accomplissons un travail de qualité mais le premier développement, ce sont les populations, nos chrétiens qui doivent essayer d’améliorer leur milieu de vie. Il faut dire qu’ils ne sont pas fort aidés par les autorités. C’est fort regrettable que les gens soient abandonnés à eux-mêmes et parfois, sans eau ni électricité. C’est tout de même des points importants pour le progrès de la vie, le progrès d’une cité. Ici, pour l’électricité, les gens se débrouillent avec des lampes à faible intensité. Ils s’arrangent.
Nous observons qu’il y a aussi quelques familles privilégiées qui, au-dessus de leurs maisons, ont installé des panneaux solaires pour avoir quelque lumière à l’intérieur.
D’autres recourent à un moteur ou groupe électrogène qui sert une série de familles pour éclairer leurs maisons de 18h à 22h. Cette stratégie les dépanne énormément. C’est là un signe de progrès qui atteste que les gens veulent se lancer par eux-mêmes.
VM : Vous avez été témoin des événements qui se sont déroulés à l’Est de la RDC, au cours de dernières décennies, dans l’Archidiocèse de Bukavu qui a été très affecté par de nombreux conflits armés. Avez-vous un mot à placer quant à cela ?
XB : Ça fait quand même longtemps qu’on ne parle plus de guerre ouverte ici à Bukavu. Au début, quand j’étais à Ciherano, on avait vécu cette période de Pierre Mulele, de Jean Schramme, mais on avait toujours survécu. Je ne pense pas, une fois, avoir eu peur, ou avoir été menacé à cause de cela. Je n’ai jamais eu d’inquiétude jusqu’à ce point-là.
VM : Vous avez certainement travaillé avec Mgr Aloys Mulindwa, qui est le premier évêque autochtone de ce diocèse. Vous avez aussi travaillé avec ses successeurs dont Mgr Christophe Munzihirwa, Mgr Emmanuel Kataliko, Mgr Charles Mbogha et Mgr François-Xavier Maroy. Avez-vous un mot à dire au sujet de votre collaboration avec ces Eminents Archevêques ?
XB : Mgr Mulindwa était un ami. Moi j’ai trouvé que c’était un évêque qui avait tous les atouts pour être un excellent pasteur. Et il a porté du fruit ici ; il a été évêque pendant plusieurs années. Après lui, on était un peu secoué ; on a eu Mgr Munzihirwa qui était un peu plus engagé au point de vue de la situation sociale et politique. Le brave, il s’est fait assassiner, parce qu’il osait parler. Mgr Munzihirwa se sentait menacé et il avait dit « on peut me tuer mais on ne peut pas tuer, éliminer la vérité ».
Après Mgr Munzihirwa, nous avons eu Mgr Kataliko, qui était une bénédiction pour le diocèse. Un pasteur très sociable, mais malheureusement, il n’est pas resté à la tête du diocèse pour longtemps. Il est mort de crise cardiaque alors qu’il était en réunion à Rome.
Après lui, on a eu Mgr Mbogha qui non plus n’était pas en bonne santé. A son décès, Mgr François-Xavier Maroy lui a succédé. En dix ans, nous avons eu une succession d’évêques ! Maintenant nous avons Mgr Maroy qui est à la tête du diocèse. C’est un originaire du pays, un Mushi d’ici. Ça va, on est heureux ! Il a le souci du peuple, de rayonner l’évangile dans ce diocèse.
VM : On dit que la moisson est abondante, et les ouvriers sont très peu nombreux. Un autre passage biblique nous dit que plusieurs sont appelés mais très peu sont élus. Suite à tout cela, et au regard de votre propre congrégation, êtes-vous inquiet ?
XB : Au point de vue recrutement, vocation, je ne pense pas qu’à Bukavu on doive se plaindre. Chaque année, je crois, Monseigneur l’Archevêque ouvre une nouvelle paroisse et chaque année il y a tout de même assez d’ordinations sacerdotales. Chez nous, Missionnaires d’Afrique, nous ne sommes plus nombreux. Si au début, lorsque je suis arrivé ici, la majorité de paroisses étaient animées par les Missionnaires d’Afrique ou Pères Blancs, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On tâche de garder une paroisse dans les diocèses où nous sommes passés. Et c’est ainsi que nous sommes à Buholo. Mais nous avons en même temps des séminaires pour les Missionnaires d’Afrique qui sont bien, et qui ne manquent pas de candidats. Nous avons un séminaire de philosophie à Bukavu qui, je crois, abrite une quarantaine d’étudiants. Ceux qui transitent par Bukavu poursuivent leurs études de théologie à Kinshasa ou ailleurs. Ils sont donc envoyés ailleurs pour leur formation au noviciat, et chacun des candidats accomplit deux ans de stage dans une paroisse.
C’est pourquoi, dans notre paroisse de Buholo, nous sommes trois dont un confrère ougandais et un stagiaire qui vient des Indes, un garçon très sympathique, très dévoué, très sociable et très proche des gens, alors qu’au point de vue physique, il étonne un tout petit peu, par rapport aux missionnaires robustes que les chrétiens d’ici ont connus.
VM : Je voudrais un peu connaître votre point de vue sur un passage de Saint Paul qui dit, dans l’une de ses Epitres, qu’ il ne cesse de courir pour remporter la palme, à l’instar d’un athlète et qu’il doit aller jusqu’au bout. Maintenant pour vous, à 80 ans, est-ce que vous continuez à courir pour avoir cette palme de vainqueur ?
XB : On ne court pas ! On ne court pas ! C’est tout de même un but de notre vie. Nous sommes ici, mais c’est pour le Seigneur.
Si je suis entré chez les Missionnaires d’Afrique, ce n’est pas pour devenir enseignant, professeur, infirmier ou faire un travail quelconque, mais ce que je cherchais, c’est là où je suis, c’est-à-dire chercher le Seigneur dans ma vie et faire ce qu’il me demande. Je crois que c’est notre vocation à tous. Nos supérieurs aussi ont suffisamment d’intelligence et de sagesse pour nous nommer là où nous pouvons porter plus de fruits. Et dans l’Evangile, le Seigneur dit que la volonté du Père, c’est que vous portiez du fruit. Mais le fruit, c’est un fruit d’amour. Semer un peu d’amour autour de nous, annoncer l’Evangile et donner à tous ces chrétiens qui nous entourent le goût, le désir d’avoir une vie plus humaine, plus belle, plus chrétienne, plus divine.
VM : Si votre vie était à recommencer, comme l’on dit généralement, quelles sont les tâches que vous devriez accomplir et celles que vous devriez éviter ?
XB : Si je revois ma vie, un tout petit peu, depuis le début de mon arrivée au diocèse de Bukavu, et à Goma, partout où je suis passé, j’étais heureux. Et cela m’a toujours fait de la peine de quitter un endroit, une paroisse où j’ai vécu plusieurs années.
On laisse des amis, on laisse un travail qui n’est pas achevé, mais partout j’ai été heureux, j’étais heureux d’être missionnaire d’Afrique, heureux d’être Père Blanc, d’être au service de ces gens qui nous entourent ; heureux de les aimer et d’apporter un peu de joie et d’amour dans ces familles qui nous sont confiées.
VM : Et votre dernier mot…
XB : Mon dernier mot ? Ça va ensemble. Je rends grâce au Seigneur. Je me rappelle que lorsqu’on m’a nommé à Buholo, je me suis dit : « mais c’est une utopie ? A mon âge, commencer une nouvelle paroisse ? » Mais je me suis rappelé un passage d’un prophète qui dit : Va ! Va où l’on t’envoie et ma grâce te suffit ! ». Je crois que c’est ça. C’est ça notre vie.
Continuer le travail et je rends grâce au Seigneur d’être encore ici, à mon âge, dans ce diocèse de Bukavu où j’ai beaucoup d’amis et où je suis fort attaché. Je vous remercie !
Marcel Asifiwe K.